Laurent Bouvet a publié hier un article intitulé “fin de parti ?” sur le blog “dessine moi un parti” animé par des membres du Parti Socialiste. Le texte qui suit se veut une contribution au débat sur le sujet, suite à l’article de Laurent Bouvet :
la politique aujourd’hui, la politique autrement : les partis aussi ont besoin d’innovation.
D’où viennent les grands partis ?
La constitution des partis politiques progressistes, “de gauche”, qu’ils se nomment socialistes ou autrement, a été le fruit d’un long mouvement portant sur plus d’un demi siècle, mais qu’on peut globalement contenir dans la période allant de la révolution de 1848 au début du XXe siècle, avec la création du Parti Radical en 1901 puis de la SFIO en 1905.
Pendant toute cette période, les partis sont des organisations de petite taille, très liées à la personnalité d’un homme ou d’un petit groupe d’hommes, cherchant à créer, forger, affirmer une identité idéologique, ayant peu ou pas l’occasion, ni souvent d’ailleurs la volonté, de se confronter au suffrage universel. Réformistes, syndicalistes révolutionnaires, blanquistes, proudhoniens, saint-simoniens, puis marxistes s’affrontent dans des cénacles intellectuels. Le but électif étant marginal, la groupuscularisation ne fait pas peur. Le tout forme, au delà des formations politiques identifiées, un “parti idéologique” qui les englobe et est perçu par ses adversaires comme un tout, les “partageux”, les “communeux”…
C’est l’accélération de la révolution industrielle, la massification de la classe ouvrière pour répondre aux besoins de la production qui poseront comme question “objective” la nécessité de la représentation politqiue des couches populaires. Entre 1880 et 1914, la France et le monde connaissent une période d’inventivité, d’innovations, de progrès technologiques telle qu’on n’en connaitra sans doute une semblable qu’avec la révolution technologique des années 1990.
Les courants progressistes affinent leur postionnement idéologique, politique et social par rapport aux nouveaux enjeux. La création du Parti Radical, colonne vertébrale de la IIIe République est une de ces réponses. La création de la SFIO en est une autre. En trois ans, socialistes possibilistes de Brousse, radicaux socialistes de Jaurès, réformistes radicaux d’Allemane, marxistes de Guesde réussissent à constituer une organisation unique.
De cette époque jusqu’aux années 1950, la fonction et l’organisation des grands partis sont relativement simples.
Le parti a un rôle de formation et d’éducation populaires. Face aux “intellectuels collectifs” que représentent le clergé et les notables au service du “parti idéologique” de l’ordre établi, le dirigeant politique, l’instituteur, le responsable syndical contribuent à former, le soir, “l’intellectuel organique du prolétariat“, ce que les communistes appeleront plus tard les “cadres organisateurs de la classe”.
Devant des adhérents peu ou pas éduqués, n’ayant que peu ou pas l’accès à l’information, le cadre politique, celui que Gramsci appelle le “capitaine” ou le “caporal” suivant son positionnement dans l’appareil, fait lecture de l’information, l’explique, la décrypte, bâtit des argumentaires pour les militants (que Gramsci appelle plus crûment, mais très justement d’un point de vue étymologique “les soldats”). On est dans un modèle très statique de communication “top down”, renforcé par la solidarité de groupe, une “pride of belonging” d’autant plus fort que l’on est dans un modèle de défense de la citadelle assiégée (communistes des années 40 à 68).
Le modèle historique des grands partis est sclérosé :
Avec l’élévation du niveau d’instruction, avec l’accès croissant à l’information, ce modèle de parti perd progressivement sens et signification à partir des années 1950. Il n’en continue pas moins d’exister avec l’apparition en plus d’une maladie dégénérative.
Le fonctionnement n’a pas changé : si le modèle ultra centralisé et cloisonné de type léniniste n’a pas fait florès, le modèle gramscien s’est imposé : “capitaines” qui pensent et dirigent, “caporaux” qui retransmettent et font appliquer, “soldats”, “des hommes communs, moyens qui offrent comme participation leur discipline et leur fidélité” (Gramsci), qui collent les affiches et distribuent les tracts.
Aujourd’hui, à mille lieux de l’évolution de la société et même du fonctionnement le plus fréquent dans les entreprises de grande taille, les grands partis reproduisent un schéma d’organisation reproduit des premières années du XX° siècle, alors même que leur offre -l’éducation populaire, l’accession à une “aristocratie ouvrière” du savoir – a disparu.
Sous couverture démocratique (vote en section, conventions thématiques, élection de la direction…), qui n’est pas que de façade il faut en convenir, le fonctionnement dominant reste le top-down, ou plutôt LES top-down (venant de la direction, des grands élus locaux, du courant, de l’écurie…).
En effet, du parti de masse -ou à vocation telle- dirigé par des élites reconnues pour leur compétence (savoir), on est passé à un parti d’élus imbriqué dans l’appareil d’Etat au plan national et local. Un tiers des membres du Parti Socialiste est composé d’élus. Il faut y ajouter les collaborateurs d’élus, les membres de cabinets, les salariés des collectivités locales pour avoir une vision réelle d’un parti presqu’entièrement composé de “capitaines et de caporaux”.
D’ailleurs, en règle général, le nouveau venu n’y est pas bienvenu. Il est soupçonné, au pire de venir en service commandé au service d’une baronnie adverse, au mieux d’être un empêcheur de ronronner en rond.
Le courageux vaincra toutes les dissuasions additionnées devant ses pas et se rendra d’abord enthousiaste à des réunions de section. Là, il s’apercevra qu’elles ne regroupent qu’un public très décalé (à gauche) par rapport à la politique officielle du Parti, très décalé par rapport à la population réelle (surreprésentation des salariés hommes du secteur public de plus de 50 ans, auxquels s’adjoignent quelques très jeunes fougueux soutiens internes de l’extrême gauche externe).
Après avoir entendu mois après mois commenter (par des adhérents dont le dévouement et la motivation ne sont pas en cause), sans plus-value réelle, l’actualité récente, et se “marquer à la culotte” au moindre écart de pensée les représentants des fractions ennemies, le nouveau venu, de guerre lasse, partira, souvent sans faire de vague.
L’appareil, une fois encore, aura gagné. Capitaines et caporaux restent entre eux.
Le constat est terrible :
– Parti d’élus et de salariés d’élus ou de collectivités, le grand parti est en décalage total avec la Société et particulièrement avec les couches sociales au nom desquelles il prétend parler et qu’il ne connait pas. Que sait-il de l’immense majorité des salariés du privé et encore plus de ceux des PME, a fortiori quand leur budget leur fait déserter le centre ville pour des zones péri-urbaines ?
– Parti d’élus dont un grand nombre d’élus ne sont paradoxalement pas officiellement adhérents du parti. On parle d’un tiers !! serait-ce possible ? C’est à dire ne payant pas régulièrement de cotisation au Parti. Donc un Parti d’élus sans contrôle sur ses élus ! Pour rester dans la métaphore militaire, ce n’est plus une armée, ce sont juste des chefs de guerre.
– Parti ayant renoncé à exercer les rôles de l’intellectuel organique. Gramsci en définissait quatre : chercheur, éducateur, organisateur d’hégémonie, organisateur de coercition. Nul besoin d’être un expert pour constater que ne reste actif que le quatrième. Les partis délèguent la pensée à des “spécialistes” extérieurs, que ce soient des think tank (terra nova ou autres) ou l’appareil d’Etat (cabinets ministériels, missions interministérielles, comités “Théodule”…).
Pour un Parti en mode wiki : le militant est mort, vive le sympathisant !
La démocratie a besoin de partis politiques. La démocratie a besoin de la participation et de l’investissement des citoyens. Pour y parvenir, il faut changer un certain nombre de règles de fonctionnement de la démocratie -nous y reviendrons – et proposer une forme partidaire adaptée à l’évolution des nouveaux modes de vie, de consommation, d’exercice de l’accès à l’information et d’exercice de la prise de parole citoyenne.
Il faut un Parti en mode wiki.
L’information est devenue une denrée surabondante, instantanée, gratuite. L’accès à son décryptage également. Le fonctionnement “top down” est non seulement obsolète mais objet de rejet. Il est insupportable à un nombre sans cesse croissant de citoyens, de salariés, de professions libérales, d’entrepreneurs, qui communiquent à travers les réseaux sociaux, qui fonctionnent en mode collaboratif dans leur travail, avec leur hiérarchie, leurs collatéraux, leurs clients, leurs fournisseurs.
Il est possible de créer un Parti vivifié qui tende à s’approprier les quatre fonctions gramsciennes de l’intellectuel collectif : chercheur, éducateur, organisateur d’hégémonie, organisateur de coercition (considérons que cette dernière concerne le rapport de force électoral).
Ceci pose comme condition impérative la rupture radicale avec le mode de fonctionnement centralisé de type léniniste ou gramscien (même édulcorés et policés) que nous connaissons encore.
La structuration hiérarchisé de type capitaine /caporal /soldat, sans doute compréhensible au début du XX° siècle est aujourd’hui inacceptable, de même que sa traduction contemporaine dans la chaine descendante élu /responsable /militant /sympathisant.
La sémantique elle-même gagnerait à évoluer. En Anglais, on parle d’activist (à ma connaissance “militant” est un peu désuet) ou de member. Activist étant réservé à des organisations plutôt extrémistes. Pour les partis démocratiques, on utilise le “member”. membre, partie du tout. C’est bien. Ce n’est pas l’usage dans notre langue.
Nos dénominations françaises de “militant” (du latin miles =soldat) et même d’adhérent (j’y suis englué ?) ne correspondent plus aux modes d’engagements civiques – customisés individuelllement par chacun comme sa consommation et même sa religion – ni aux pratiques citoyennes sur le long terme.
Le Parti moderne, le parti en mode wiki, doit faire avec. A lui de définir un positionnement et une offre politique généraux que viendront enrichir des contributeurs, au rythme qui leur convient, sur la ou les thématiques qui les séduiront particulièrement à telle ou telle étape de leur vie et de leurs préoccupations.
Faire avec, parce que, comme une première grande vague de libéralisation au Maghreb a été appelée la “révolution des paraboles” permise par l’accès à l’information internationale grâce aux chaines de TV par satellite, les révolutions arabes de ces deux dernières années auront été facilitées par facebook, les SMS, les flashmobs…Et il en est de même ici.
C’est pourquoi le mode de relations le plus approprié entre l’organisation collective et l’individu me semble être celui du sympathisant : Au sens strict, il manifeste sa sympathie (il n’y a que des preuves d’amour), en participant, contribuant, “likant”, reroutant, postant, à son rythme. Un niveau de cotisation faible et unique permet de concrétiser la sympathie et donne droit de participer aux activités du parti et à la désignation de ses instances.
Il n’y a pas de prime à l’ancienneté ni à la souffrance. Le fait d’aller distribuer tôt dans le froid, un dimanche matin d’hiver, des tracts sur un marché de centre ville (où vienne s’approvisionner d’ailleurs les CSP+, quand les couches populaires vont à l’hypermarché de banlieue qui interdit la diffusion de tract sur le parking) ne donne pas de “prime” par rapport à twitter sur son ipad bien au chaud le soir chez soi. La prime est à l’engagement sur la durée et à la preuve de la compétence, comme dans la “vraie vie” en somme, celle du monde du travail.
Ce que n’ont pas compris les “capitaines” et les “caporaux” des appareils sclérosés, c’est qu’aujourd’hui, nous sommes tous à la fois des “capitaines en puissance” et des “soldats par interim”. En revanche, nous ne voulons plus de caporaux !
Pour un statut rénové des élus :
Il n’y aura cependant pas d’oxygénation de la démocratie et de réappropriation par les citoyens sans des dispositions d’ordre public qui impactent tous les partis, y compris ceux qui souhaitent rester dans le monde ancien.
– Il faut l’introduction d’éléments significatifs de proportionnelle à tous les échelons, notamment parlementaires.
– Il faut une réforme d’ampleur de l’organisation territoriale qui rende plus lisible le “qui fait quoi” (sans doute une diminution par deux du nombre de régions, la fusion des communes au sein des communautés et pas de nouvelles tranches au millefeuille…)
Ces sujets méritent d’être traités spécifiquement de manière développée. Ce n’est pas le propos ici (plus tard, promis !).
Il faut aussi – et ceci est également indispensable à la réingénierie des partis politiques – de nouvelles règles et de nouveaux statuts pour les élus. Ces règles sont indispensables pour réduire de manière drastique le poids népotiste et parfois même héréditaire des grands élus.
J’en propose ici un certain nombre. Il doit y en avoir d’autres. Celles-ci me semblent réalistes et applicables :
– un statut de l’élu pour les salariés du secteur privé (ne concernant pas les élus municipaux) imposant aux entreprises, pendant la durée du premier mandat, le maintien du lien (comme dans un congé création d’entreprise ou un congé parental) avec obligation de réembauche à qualification et poste équivalents, avec évolution de salaire au retour, indexée sur celle des salriés de même catégorie dans l’entreprise. En cas de licenciement dans les 24 mois suivant le retour (sauf pour faute lourde), prise en compte en double, pour le calcul de l’ancienneté, des années du mandat et de la période postérieure.
– limitation à deux mandats successifs quel que soit le mandat.
– interdiction de cumul d’un mandat de parlementaire et de président d’un exécutif local (y compris maire)
– interdiction de se présenter à une élection sans intention d’exercer le mandat : en cas d’élection et du fait de cumul ou d’incompatibilité (cas de ministres se présentant aux législatives), obligation d’opter pour le dernier mandat obtenu.
– limite d’âge à 70 ans pour se présenter à un mandat électif (sauf conseil municipaux, mais inéligibilité comme maire)
– interdiction d’embauche comme collaborateur par un parlementaire ou membre de son cabinet par un ministre d’un ascendant, descendant, conjoint, collatéral (frère ou soeur)
– obligation à la parité sur les scrutins de liste avec comme conséquence du non-respect l’annulation ET une amende.
– plafonnement des indemnités d’élu en ne prenant pas seulement en compte de total des indemnités, mais le total des rémunérations
– création d’un statut du suppléant pour le député. Par exemple, obligation pour le député de choisir son suppléant comme collaborateur au minimum à temps partiel. Obligation pour le suppléant d’être présent en certaines occasions en cas d’absence du titulaire. On pourrait aller jusqu’à imaginer une déchéance du titulaire au profit du suppléant en cours de mandat en cas d’insuffisance criante de participation aux travaux parlementaires (séances, commissions, amendements propositions de lois…)
Tout ceci ne suffira pas. D’aucuns diront que chacune de ces mesures est contournable. Il n’empêche : pour réconcilier les Français avec leur représentation, c’est à dire avec le fonctionnement démocratique et les partis qui le structurent, des mesures énergiques s’imposent.