Un passé nommé Désir

Le congrès de Toulouse du Parti Socialiste s’est terminé sans surprise, comme sa préparation avait commencé. Harlem Désir est désigné. Le Parti est lobotomisé.

Que semble loin le temps, en 2006, où la météorite Ségolène Royal bousculait les lignes, osant aborder des questions taboues, sur la sécurité, l’équilibre des droits et devoirs, la décentralisation, le cumul des mandats, la création d’un parti ouvert, réclamant de se réapproprier les attentes populaires, quitte à faire moindre place aux “bobos”.

Comme Sarkozy et Bayrou, Royal a été balayée par la crise. A droite, au centre, à gauche, les postures innovantes, les volontés rénovatrices, le souhait de s’émanciper des stéréotypes éculés, ont été balayées par la crise pour redonner place aux réflexes les plus archaïques. Là où on aurait besoin de visionnaires, de donneurs de souffle, on a affaire aux bricolages, aux tripatouillages et aux ravaudages les plus décourageants.

Au centre et à droite, bidouillages et “valeur rétro”

La constitution de l’UDI avec Jean-Louis Borloo aurait pu prendre le relais tombé des mains de Bayrou pour construire une organisation moderne, ouverte, tournée vers l’avenir, ne refusant aucune alliance, soutenant la majorité actuelle quand il est jugé qu’elle le mérite… Las, l’UDI n’est qu’un rubik’s cube dont le joueur peine tant à réunir les couleurs que l’on sent déjà qu’il jettera l’éponge, usé par une partie trop longue, fastidieuse et les coups de poignards dans le dos.

L’observateur lointain ou inattentif n’aura pas remarqué à quoi sert le “I” de l’UDI. Ces “indépendants” qui la rejoignent sont les membres du Centre National des Indépendants (autrefois indépendants et paysans). Le CNI est-il centriste ? S’éloigne-t-il de l’UMP à cause de sa trajectoire droitière ? Pas du tout, le CNI est l’aile la plus à droite de l’opposition, bien plus rétrograde que la “droite populaire” ou le “parti démocrate-chrétien” de Boutin. Depuis Giscard, et l’union des droites antigaullistes et des libéraux dans l’UDF, le CNI est la passerelle affirmée, le point de rencontre entre la droite républicaine et l’extrême droite. C’est le rôle qu’il continue de jouer, s’appuyant sur un électorat rural et ultra conservateur que les positions sociétales d’un Borloo ou d’une Jouanno doivent faire baver de haine.

Quant aux restes, rien qu’une juxtaposition d’alliances de circonstances faites de volonté de marginaliser “l’autre” et de se faire une petite place au soleil couchant, avec la bénédiction supposée, par chacun et ses adversaires internes, de fractions de l’UMP, voire de Sarkozy. Ainsi vont Lagarde, Morin, Arthuis et les autres… Dommage ! de véritables progressistes, libéraux, européens sont entrés dans cette aventure. J’en connais d’excellent(e)s. Leur déception sera grande.

Faut-il parler de l’UMP ? Le duel Fillon-Coppé ne montre que quelques éléments clefs déjà connus qui font apparaitre la “rupture” affichée en 2006-2007, comme un mirage lointain :

Le refus d’une véritable primaire permettant aux différentes “sensibilités”, c’est à dire plus prosaïquement aux différentes ambitions, de se confronter montre le caractère rétrograde de cette organisation, en décalage total avec les évolutions et les attentes de la société. Plus personne, hors du personnel politique lui-même, n’est prêt à accepter la caporalisation et le centralisme bureaucratique. Celui qui “tient” le parti et celui qui a le soutien des sympathisants s’écharpent. C’est la règle. L’un continuant la stratégie de Sarkozy le perdant fait appel à toutes les bassesses. Il est vrai qu’on aurait pu penser que le petit fils des Copelovici, des juifs roumains ayant reçu un accueil bienveillant en France aurait la dignité de se passer de sa fable xénophobe et islamophobe sur le pain au chocolat. Mais cet homme est ainsi fait…

L’autre reprenant la stratégie de Sarkozy le gagnant (mais c’était en 2007, l’aurait-il oublié ?) fait semblant de jouer l’ouverture et la modération tout en faisant surenchère de critiques hargneuses à l’égard de tout ce qui n’est pas UMP. Ainsi est fait le hobereau de Sablé, pétri de la conviction si ancrée dans la droite française, que tout ce qui n’est pas elle est illégitime.

Au centre comme à droite, dans les tripatouillages hérités de la IV° république et dans les discours dignes des années 50, c’est le triomphe de la “valeur rétro”.

Au Parti Socialiste, le triomphe de la contre-réforme

En 2006-2007, certains au Parti Socialiste, sans changer sa doctrine engluée dans une rhétorique économique d’un autre âge – et montrée du doigt à juste titre à l’époque par les Gracques -, avaient quand même réussi à fendre l’armure. Ségolène Royal, en créant Désirs d’avenir, cassait la frontière absurde entre “militants” et “sympathisants” et créait un réel mouvement d’adhésion populaire. Montebourg, Peillon, Valls, portaient le fer -sous des angles différents – contre le fonctionnement, la paralysie intellectuelle, la boboïsation du parti, voulaient s’attaquer aux archaïsmes, aux féodalités, aux institutions. Ils imposaient les primaires.

Le Congrès de Reims a marqué le premier coup de sonnette de la fin de la récréation. La victoire volée dans la nuit par Martine Aubry à Ségolène Royal, majoritaire à l’heure du coucher, minoritaire à l’heure du lever n’a pas suffi. Certains alliés ont été éliminés pour préparer l’avenir présidentiel. Ainsi de Bertrand Delanoë, préparant son départ de Paris, pour ambitionner le premier secrétariat, voire les primaires. Dépouillé de sa motion par une manoeuvre habile de Martine Aubry, voici le maire du Palais abandonné par les poids lourds parisiens : Cambadélis, Le Guen, Caffet et même la dauphine adoubée Anne Hidalgo prennent leur distance. Le roi est nu. Out.

Les primaires ont pu apparaitre comme un grand bol d’air frais. Promises de longues dates, attendues, plébiscitées par l’opinion de gauche, elles ne pouvaient être remises en cause, même si l’opération longuement préparée du tandem Strauss-Kahn/Aubry avait aussi comme objectif de les faire apparaître comme inutiles face à une candidature d’évidence. Par chance (ou par une manoeuvre dont les auteurs seront connus dans longtemps), le Sofitel en a voulu autrement. On ne remerciera jamais assez le groupe Accor pour sa participation à la primaire socialiste. D’autant plus que l’on sait maintenant que Strauss-Kahn aurait perdu contre Sarkozy.

Des millions de sympathisants de gauche, de progressistes, de centristes, d’écologistes sont allés voter dans l’enthousiasme. Pour avoir tenu un bureau de vote, sans être membre du PS, je ne peux que confirmer l’ambiance joyeuse, bon enfant, de tous les participants. Mais par la fenêtre ouverte, l’air frais n’est pas rentré rue de Solférino. C’est plutôt le peu qui y restait qui en est sorti.

Le camp Aubry, engagé trop tardivement à cause de son deal avec Strauss Kahn a perdu la bataille contre les sympathisants de gauche. La coalition hétéroclite rassemblant les fabiusiens, d’anciens jospiniens, des strauss-khaniens et la gauche la plus ringarde du Parti a réussi à garder le Parti. Revenant sur l’esprit des primaires, revenant encore plus loin en arrière sur la désignation militante du premier secrétaire, Martine Aubry, prenant exemple sur le démonétisé Bertrand Delanoë, a décidé d’adouber son successeur sans que les adhérents aient leur mot à dire.

Les adhérents, les sympathisants du Parti socialiste peuvent-ils accepter cela longtemps sans bouger ?

Congrès de Toulouse, la majorité présidentielle fragilisée

Avec 70 % à la motion majoritaire et à Harlem Désir, le Parti Socialiste peut apparaître comme largement homogène dans son soutien à un gouvernement réformiste. Il n’en est rien, bien au contraire. Sans autres leaders que les marginaux  Marie-Noelle Lienemann et Gérard Filoche (qui écrivait encore dans un courrier récent à Michel Lequenne être toujours trotskyste), les courants qui se pensent la gauche du Parti ont rassemblé près de 30 % des suffrages.

Il faut bien sûr y ajouter, pour évaluer le poids réel de l’idéologie qu’ils véhiculent, tous les adhérents qui ont voté pour la motion majoritaire en suivant la consigne des dirigeants historiques  les plus représentatifs de cette “gauche de la gauche”, ralliés à la majorité prévisible pour mieux négocier  des postes à la direction du PS (avec un certain succès), ou au gouvernement (avec une réussite proche du zéro).

Or si on additionne les partisans de Montebourg, proclamé candidat de cette “gauche” aux primaires, ceux de Hamon, leader lui de cette “gauche” au précédent congrès, ceux d’Emmanuelli, de Vidalies, de Quilès…on ne peut imaginer qu’ils représentent moins de 20 % du Parti.

C’est donc au moins la moitié du Parti sur lequel s’appuie uniquement la majorité présidentielle qui se positionne clairement dans l’opposition à celle-ci. La crise est larvée, certes, mais elle est inscrite et elle est grave.

Le choix régalien d’Harlem Désir comme premier secrétaire n’est guère plus rassurant quant à la capacité de la direction du PS issue de Toulouse de peser sur les grands élus et les baronnies locales.

Martine Aubry n’avait-elle le choix qu’entre Cambadélis et Désir, tous deux naguère condamnés – le premier à 12 mois, le deuxième à 18 mois de prison- pour des affaires d’emplois fictifs que la population rejette aujourd’hui unanimement comme parmi les pires résidus de ce qu’on ne veut plus voir en politique ? Dans ce Parti de dizaines de milliers d’élus, n’était-il pas possible d’appeler aux responsabilités un seul maire de grande ville, un président d’agglo, de conseil général ou régional, représentatif des réussites de terrain dont les socialistes sont souvent capables, et exempt de tout soupçon judiciaire ?

La vérité est que la fragilité majoritaire du Parti étant connue d’eux, aucun des dirigeants déjà appelés au gouvernement, ni aucun des poids lourds locaux n’a souhaité prendre le risque. On sait que ce fut notamment le cas de Rebsamen et Le Foll…C’est dire l’opinion qu’ils peuvent avoir de leur propre parti. Dans le même temps, les Hollandais ne voulaient pas laisser le parti aux Aubrystes, quitte à l’affaiblir encore plus. Ils n’ont pas voulu laisser la place à Cambadélis, détesté ou craint de beaucoup, mais député élu à 70 % dans sa circonscription, chef de guerre incontesté, leader d’un groupe plutôt discipliné, favori de Martine Aubry.

C’est ainsi qu’avec la bénédiction de l’Elysée et Matignon, les 3 mousquetaires (Valls, Peillon, Le Foll) estimant leurs intérêts personnels convergents dans cette affaire, unirent leurs efforts et imposèrent Harlem Désir. Pour eux, ses qualités sont évidentes : plutôt falot, dépourvu de “marqueur” sur le moindre sujet, jamais élu au suffrage universel, sans la moindre troupe, redouté de personne, il était le candidat idéal pour les Hollandais dans le contexte où aucun leader de ce courant ne voulait “y aller”. Juste le souvenir vague des années SOS racisme, il y a vingt-cinq ans ! un passé nommé Désir.

Sans idéologie, sans courant majoritaire unifié sur une orientation, menacé de l’intérieur par une opposition largement supérieure à son score apparent, le Parti Socialiste se trouve sans dirigeant crédible. Le pari élyséen d’un parti faible qui ne pourra pas faire jouer de rapport de force hostile dans la mise en oeuvre de la nécessaire politique de rigueur parait extrêmement risqué. C’est le moins que l’on puisse dire.

La majorité déjà égratignée

La politique de l’affaiblissement du parti majoritaire est compréhensible lorsque l’exécutif est fort, son leadership incontesté, son orientation claire, les alliances  solides basées sur des contrats clairs ou un rapport de force dissuasif.

Nous savons ne pas être dans ce contexte. L’exécutif devait se positionner sur le long terme, de dévoiler la feuille de route, aussi difficile soit-elle, de faire preuve de pédagogie sur l’engrenage des différentes étapes pour améliorer la situation du pays, la qualité de vie des citoyens et leur espoir dans l’avenir.

Dans la grande tradition des socialistes français, il ne l’a pas fait. Semblant naviguer au coup par coup. S’excusant presque de devoir voter l’indispensable traité européen (indispensable mais évidemment insuffisant), semblant reculer face aux “pigeons”  et brouillonnant sur l’arbitrage soutien à l’innovation/fiscalité, réussissant le contre exploit de prévoir des économies budgétaires substantielles et d’apparaitre comme l’archétype du “tax and spend” de la gauche des années 70.

Globalement, les décisions finalement prises ne sont pas mauvaises. Mais le “finalement” est de trop. Il traduit l’impression d’amateurisme, d’impréparation ; le sentiment que le gouvernement redresse des projets boiteux sous la pression. Comment s’étonner alors de la tribune politique de la centaine de patrons du CAC 40 ? Il est évident qu’ils n’auraient jamais osé ce positionnement hors de leur fonction économique sous la présidence Sarkozy, pourtant le plus creuseur de déficits depuis son mentor Ballaadur.

L’autorité elle-même est mise en cause. EELV vote contre le gouvernement, mais ses ministres sont conservés et leur action couverte de louanges. Les ministres se contredisent tous les jours, sans être sanctionnés. La majorité n’existe d’ores et déjà plus au Sénat où le Front de Gauche est clairement dans l’opposition (et tout récemment allié avec l’UMP). A l’Assemblée, le vote hostile d’un groupe de députés socialistes sur le traité européen n’est évidemment qu’un test : pas de rapport de force mis en oeuvre à l’égard des votants et de leur dirigeants (Benoit Hamon les a explicitement encouragé). La voie est donc libre pour une opposition encore plus nombreuse sur les sujets plus clairement sensibles ou douloureux pour l’opinion.

Les véritables “ayant-droits” méritent une réponse politique et une majorité recentrée

Avec un certain talent, Jean-Luc Mélenchon a inventé le concept “d’ayant-droits” de l’élection présidentielle. Le concept est pertinent, son utilisation politique par le Front de Gauche est une usurpation, une escroquerie politique.

La Gauche Moderne et Républicaine s’est créée plusieurs mois avant les élections présidentielles et n’a pas eu d’hésitation quant à la nécessité de rompre avec la politique mise en oeuvre par Sarkozy. La GMR a rassemblé des citoyens issus de différents horizons convaincus qu’il fallait réconcilier le souhaitable et le possible dans des propositions politiques cohérentes. Le Parti Socialiste nous semblait incapable de prendre sur lui le courage politique nécessaire pour rompre avec la phraséologie du passé, incapable de se positionner comme une Gauche moderne’ comme l’avaient fait depuis longtemps le SPD, le New Labour, le PSOE et la plupart des partis sociaux-démocrates ou progressistes. La GMR se revendique d’un progressisme réaliste, de la politique économique et sociale du New Labour, de ce que certains ont appelé le social-libéralisme.

Un peu plus de six mois après, une présidentielle et des législatives perdues par la droite (davantage que gagnées par la gauche), un congrès socialiste, je pense que nous avions vu juste.

La majorité présidentielle s’est gagnée par l’apport de 10 points de citoyens qui ont voté Hollande au 2° tour et n’avaient pas voté à gauche au 1er tour. En effet l’ensemble des voix de gauche totalise 42 % au 1er tour. Si on veut être plus proche encore de la réalité, il faut sans aucun doute retirer du score hollande au 2° tour au moins 3 points d’électeurs de Poutou, Artaud et Mélenchon qui n’ont pas reporté leur voix.

Les ayant-droits de la majorité présidentielle, ce n’est donc pas l’ultra-gauche, ce sont ces 13 points de citoyens qui n’ont pas voté à gauche au 1er tour et ont fait élire Hollande. C’est leur déception qui se manifeste dans les sondages.

Il n’est pas justifiable politiquement de les ignorer. Ils attendent des réformes, du professionnalisme, de l’encouragement à l’innovation, la remise en place de l’égalité des chances et des droits. Ils attendent la sécurité sur l’intégralité du territoire. Ce sont eux qui contribuent à faire de Manuel Valls le ministre le plus populaire. Ce sont eux qui regrettent la trop grande discrétion et le manque de visibilité de la politique de Moscovici….

Les vrais “ayant-droits” méritent une vrai réponse politique. Elle passe par la création d’une organisation politique qui les représentent. Nous, à la GMR, souhaitons y contribuer. Mais les formations politiques ne peuvent plus fonctionner avec une offre “top-down”. Elles doivent fonctionner sur un mode contributif et participatif. On ne peut pas ne faire que se lamenter sur l’absence de prise en compte par les politiques des vrais problèmes sans se retrousser soi même les manches. J’appelle vraiment les acteurs économiques, particulièrement orphelins de la représentation à gauche : créateurs d’entreprise, cadres du privé, salariés de la fonction publique souhaitant vraiment la réforme de l’Etat par l’investissement et l’innovation, syndicalistes réformistes, professions libérales… qui se retrouvent dans une orientation progressiste, réaliste et innovante à nous rejoindre dans cette démarche.

Les municipales sont en 2014. Venez parler avec nous de ce que nous pouvons faire pour que nos voix soient entendus. D’autres, issus de l’écologie, du centre, du gaullisme social, du Parti socialiste partagent cette vision.

Il n’est pas justifiable de la part de l’exécutif de laisser croire que le quinquennat pourra se poursuivre jusqu’à son terme avec la fausse majorité incluant les communistes, les verts “pastèques” (verts dehors mais rouges dedans), et l’aile archaïque du PS.Ce ne sera pas le cas. C’est déjà visible.

Il est indispensable de commencer à donner des signes positifs aux vrais ayant-droits pour leur montrer que l’exécutif est attentif à leurs attentes. Il faut leur montrer que les réformes ne sont pas prises par dépit ou sous la contrainte mais par volonté assumée. Il faut leur montrer que leur représentation politique, aussi éparse et diffuse soit-elle aujourd’hui, est prise en compte. Il faut aussi que la main soit tendue à ceux qui par fidélité à leur famille politique d’origine sont aujourd’hui dans l’opposition mais pourraient ponctuellement soutenir des décisions utiles au pays.

Chacun commence à voir que ce n’est qu’avec cette majorité recentrée, correspondant à l’expression politique du pays aux présidentielles, que le quinquennat pourra réussir, c’est à dire contribuer au redressement du pays.

Nous attendons ces signes. Ils doivent venir. Vite.

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