Orange, le bug et les ministres, le vrai sujet et 4 propositions

Je commence par mettre les choses au point : Je suis client Orange mobile, mon épouse aussi. Je dirige une entreprise cliente d’OBS. J’ai subi la coupure de réseau du vendredi 6 juillet à partir de 16 h 30 et ça m’a fait enrager. Je ne suis pas (je ne suis plus, en fait, et heureusement) actionnaire de FT-Orange. Et pourtant…

Colbertisme gaullien et non connaissance de l’entreprise

Une grande entreprise connait un bug informatique qui aboutit à une suspension temporaire de service à un nombre de clients particuliers et à un certain nombre d’entreprises. Par exemple, mon entreprise étant un call-center spécialisé, nous n’avons pas pu joindre pendant des heures les  abonnés orange mobile que nos collaborateurs essayaient en vain d’appeler. Nous avons perdu de l’argent parce que nous avons payé des salariés privés d’activité et que nous n’avons pas engrangé la rémunération attendue de nos clients.

Réaction quasi immédiate de 3 ministres (Montebourg, Pellerin, Hamon) convoquant les dirigeants de l’entreprise, criant au scandale, exigeant un audit interne aux frais de l’entreprise, réclamant une compensation du préjudice pour les consommateurs (notons que les entreprises ne sont “curieusement” pas citées). Et pas n’importe laquelle, précise Hamon, “substantielle”. (faisons un calcul simple : pour un abonnement mensuel de 50 € par mois, la coupure de 12 h représente 1/60°, soit 83 cts. L’abonnement moyen mensuel réel doit être à 30 €).

Etonnant, surprenant, désespérant : Retour au gaullisme des années 60 ? retour à la mise sous tutelle étatique des entreprises ? En tout cas, absolue méconnaissance du monde de l’entreprise, de la relation client-fournisseur, mépris total de la relation directe de l’entreprise avec ses clients, mépris total des corps intermédiaires que constituent les associations de consommateurs.

La réaction ministérielle n’a pas lieu a posteriori d’une position de FT-Orange jugée peu correcte, mais, en Hamon, pour donner des injonctions. (Notons cependant, pour l’équilibre du propos, que j’ai reçu un SMS d’excuse d’Orange sur mon mobile professionnel, mais rien sur mon mobile personnel ; il semble que d’autres personnes, oui).

Une fois encore, preuve s’il en est besoin de l’abandon par le Parti Socialiste et certains de ses dirigeants, même estampillés “jeunes et modernes” d’un regard global sur la société, la place que l’entreprise y occupe et la place des salariés dans celle-ci.

Il y a eu un bug informatique, oui ! et tenez vous bien, il y en aura encore ! Le risque zéro n’existe pas quand on parle d’innovation, de développement, de course effrénée pour accompagner le développement des nouveaux usages. Les positions sont fragiles, les stars d’un moment peuvent disparaître (Palm Pilot hier, blackberry demain…). Au contraire, la prise de risque doit être encouragée, à condition qu’elle soit responsable.

Les gribouilles : Etat actionnaire coupable ; Etat régulateur responsable

Oui, il y a problème et, sans doute, sans être un spécialiste du sujet, un problème de niveau d’investissement dans les infrastructures par France Télécom.

Pourquoi ? Notamment à cause d’une avidité incongrue des actionnaires, dont celle de l’Etat.

L’Etat est, en effet, encore actionnaire à hauteur de 27 % de FT-Orange. C’en est même le premier actionnaire. Or, lors de la dernière AG de l’entreprise début juin, l’actionnaire Etat (APRES le changement de majorité) vote une résolution qui aboutit à ce que, pour la 3ème année consécutive, France Télécom versera un dividende supérieur (4,4 milliards) à son bénéfice net (3,7 milliards). Et ceci contre l’avis des syndicats de cadres et de l’association des salariés actionnaires.

On a bien lu, les actionnaires dont l’Etat se distribuent des dividendes supérieurs aux bénéfices !

On s’étonne après, au Parti Socialiste et au ministère d’Arnaud Montebourg, que l’investissement productif soit insuffisant. Que n’entendrait on pas si on parlait d’un groupe dans lequel l’Etat n’est pas actionnaire ! “Actionnaire voyou”? “patron voyou” ?

Mieux encore : Après avoir repoussé la proposition des salariés actionnaires d’un dividende à 1 € pour imposer un dividende à 1, 40 €, privant l’entreprise d’environ 1 milliard d’euros pour investir, le gouvernement Ayraut propose une taxe additionnelle de 3 % sur les dividendes distribués aux actionnaires. Suivez bien : l’Etat actionnaire impose une hausse de la distribution des dividendes pour remplir ses caisses vides, au détriment de l’activité opérationnelle… puis fait voter une taxe sur les dividendes -payée par l’entreprise-. Il gagne au grattage et au tirage, juge et partie.

Le bug de vendredi dernier : l’Etat actionnaire est coupable.

Mais l’Etat doit aussi jouer un rôle de régulateur. On se souvient d’Arnaud Montebourg, encore dans l’opposition, saluer Free comme “ayant davantage contribué au pouvoir d’achat des Français que Nicolas Sarkozy”. Représentant d’une gauche n’ayant plus le moindre corpus idéologique, incapable de répondre aux questions posées par le maintien d’activités créatrices d’emploi dans le pays, par l’aménagement responsable du territoire, par le partage de la valeur dans les entreprises, ce ministre, comme Ségolène Royal avant lui, comme Benoit Hamon le fera encore très prochainement sur un autre sujet, a abandonné le salarié au profit du consommateur.

Abandonner le salarié au profit du consommateur, c’est mettre en oeuvre notamment des mécanismes encourageant aveuglément la baisse des prix sans tenir compte des éléments explicatifs de cette baisse. Dans les services comme les Telcos, ils sont pourtant connus : généralisation de la pression salariale par recours systématique à l’outsourcing ou l’offshoring pour l’avant-vente, l’après vente et le recouvrement. Dans certains cas (Numéricable par exemple) pour la vente elle-même ; de plus en plus pour les interventions techniques.

C’est aussi accepter voire encourager la mise en oeuvre de politiques managériales discutables. On ne peut pas d’un côté tisser des louanges à Free pour son dumping sur les prix et pousser des cris d’orfraie pour dénoncer le harcèlement dont seraient victimes des salariés de FT-Orange.

L’Etat ne joue pas son rôle de régulateur parce qu’il ne met pas en place les mécanismes de contrôle obligeant les opérateurs à rendre transparents (pas nécessairement publiquement mais devant une commission ad hoc) les mécanismes de construction de  leurs tarifications, permettant d’interdire véritablement les achats de parts de marché par vente à perte, de même que les ententes illicites.

Chacun sait que ce secteur connaît de manière prolongée cette pratique détestable et que plusieurs acteurs ont déjà été condamnés à de très lourdes amendes. Messieurs Montebourg et Hamon font-ils ce qui est indispensable en ce domaine ?

quatre propositions :

– que le gouvernement s’engage à ce que les représentants de l’Etat dans les conseils d’administration où il est présent  soient dûment mandatés pour s’opposer à des distributions de dividendes supérieures aux deux tiers du résultat net de l’entreprise concernée.

– que le gouvernement s’engage sur le quinquennat à diminuer la part de l’Etat au capital de FT-Orange pour descendre en dessous de la barre de 15 % à ce terme, diminuant ainsi les effets “juge et partie”

– que soit renforcés les contrôles nécessaires pour éviter les ententes illicites dans le secteur

– que soit créée une instance regroupant l’ensemble des parties prenantes du secteur y compris les organisations syndicales et les associations de consommateur, pour proposer, dans trois ans au plus tard, un plan de séparation des activités d’équipement en réseaux et la distribution de services (sur le modèle de ce qui a été fait entre RFF et SNCF, entre ERDF et les distributeurs d’énergie.

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