Le rapport Jospin : un “pschitt” de plus ?
La crise de décomposition que connaît l’UMP depuis trois semaines aura découragé les plus engagés, même s’il s’agit davantage d’une crise politique (positionnement et alliances) que de la guerre d’egos que certains veulent bien nous présenter.
L’appel à Alain Juppé, condamné à l’inéligibilité pour des emplois fictifs « comme personnalité morale incontestable » par le clan Fillon héberluerait dans n’importe quel autre pays. Il n’est que la suite logique de l’alternative régalienne imposée au Parti Socialiste entre Harlem Désir et Jean-Christophe Cambadélis, eux aussi condamnés à des peines de prison pour des motifs analogues.
Il ne faut donc pas s’étonner outre mesure que le rapport présenté le vendredi 9 novembre « pour un renouveau démocratique » par la commission dite Jospin n’a pas fait un bruit médiatique assourdissant. Coincé entre le rapport Gallois sur la compétitivité et la conférence de presse du Président de la République, il eut fallu pour cela que son contenu soit explosif. Il n’en est rien. Les Français attendent beaucoup plus pour se réconcilier avec la sphère politico médiatique.
Les Français n’en peuvent plus du décalage avec leurs élus, pour ceux qui prêtent encore le moindre intérêt au jeu politique. Les enquêtes d’opinion montrent clairement que le « tous pourris » est l’opinion très majoritaire dans le pays. Comme il faut un choc de compétitivité en économie, il faut un choc de crédibilité dans la pratique démocratique.
Le rapport Jospin, de petits pas en avant, mais un manque d’audace consternant
Le rapport Jospin du 9 novembre propose un certain nombre de mesures, souvent positives, mais très insuffisantes au regard du besoin de choc de crédibilité qui est indispensable. Il faut agir l’organisation territoriale structurant la représentation politique, sur l’irréprochabilité des élus, le népotisme, leur renouvellement, l’éligibilité réelle et non formelle de toutes et tous.
Il n’est pas anodin que la proposition n° 1 du rapport Jospin concerne le parrainage du président de la République, qui est loin d’être la préoccupation des Français
Il faut une réforme d’ampleur de l’organisation territoriale
qui rende plus lisible le “qui fait quoi” par le citoyen perdu entre commune, agglo, communauté, métropole, canton, arrondissement, département région…et surtout scandalisé par le nombre pléthorique d’élus, de fonctionnaires territoriaux chargés de l’administration de ces entités, leurs sièges pharaoniques…
Il est d’abord indispensable d’abroger la clause de compétence universelle (chaque échelon peut se saisir de n’importe quel sujet), pour définir des compétences appropriées et réparties entre chaque échelon.
De même les tranches du mille-feuilles doivent être diminuées, en commençant par fusionner les régions pour les mettre en situation de compétitivité face aux Länder allemands, à la Catalogne, à la Flandre, à l’Ecosse etc… pour arriver à 8 ou 10 régions maximum. La Haute Normandie n’est composée que de deux départements et l’un d’entre eux, la Seine-Maritime, a un budget supérieur à celui de la Région.
Il faut engager un plan à dix ans de fusion obligatoire des communes au sein des communautés pour passer de 36 000 à 10 000 communes, en réduisant proportionnellement le nombre d’élus locaux et en rationnalisant le nombre de fonctionnaires territoriaux. Il faut repenser le rôle des départements, comme sous ensemble à compétences limitées des « grandes régions ».
Il faut faciliter la représentation politique des différentes sensibilités
Ce qu’on a appelé la fin des idéologies s’est paradoxalement accompagné d’un accroissement de la bipolarisation partisane. Celle-ci n’est pas regrettable en soi si elle le produit d’un mouvement d’opinion et pas la résultante de mécanismes déformants de représentativité.
Ce n’est pas le cas. L’UMP et le PS qui totalisent moins de 50 % des suffrages engrangent un nombre d’élus sans aucune proportion. Le FN est absent. Le FdG gagne des voix et perd des sièges. Le centre est exclu, sauf pour sa partie arrimée à la droite.
– La proposition 1 d’instaurer un parrainage citoyen de 150.000 électeurs plutôt que de 500 élus n’est pas mauvaise. Elle n’aurait pas mérité d’être en tête de rapport, aucun grand courant politique n’ayant été jusqu’à lors privé de présence au 1er tour de la présidentielle. Elle entraîne en outre – même si chacun nous dira qu’il sera confidentiel et inexploitable – la création d’un gigantesque fichage politique de plusieurs millions de citoyens. Ceci n’a rien de choquant en soi, les américains se déclarant bien comme républicains, démocrates ou indépendants sur les listes électorales dans la plupart des Etats. On aurait aimé cependant davantage de précautions : par approches successives et indépendantes, est en train de se mettre en place un gigantesque fichage tous azimuths de la population (fichiers de police, fichier positif du budget des ménages…). Enfin, si certaines formations ont (disent-elles) un peu de mal à trouver 500 parrainages d’élus, pour d’autres qui figurent habituellement dans les scrutins présidentiels il sera encore plus difficile de trouver 150.000 signatures. C’est un choix qu’on aurait aimé voir motivé.
– Il faut l’introduction d’éléments beaucoup plus significatifs de proportionnelle à tous les échelons, notamment parlementaires que ce qui est proposé dans le rapport Jospin. La proposition 7 de 10 % de proportionnelle permettra au mieux aux petites formations de totaliser 2 à 5 % de parlementaires, les grands partis rajoutant à leurs élus de circonscription la majorité des élus à la proportionnelle. Ce n’est pas insuffisant, c’est presque méprisant. 20 % d’élus à la proportionnelle parait à l’évidence un minimum et nul ne peut penser que ceci affecterait la stabilité politique. C’est ce que, dans la commission Jospin, propose à titre personnel Jean-Claude Casanova.Dominique Rousseau, lui, va plus loin, en faveur d’une vraie proportionnelle. Ils ont raison.
Il faut un statut de l’élu pour que celui-ci devienne un « citoyen normal »
– Sur ce sujet majeur, le rapport Jospin manque singulièrement d’audace. Comme le constate Dominique Rousseau, membre de la commission dans son « opinion séparée », « c’est pourtant la sagesse que d’être audacieux dans les moments où la démocratie est en crise ».
Le risque professionnel en candidatant à une élection est tel que les personnes bénéficiant d’un statut de l’emploi protégé sont surreprésentés. C’est pourquoi, un statut de l’élu est indispensable pour les salariés du secteur privé (ne concernant pas les élus municipaux) imposant aux entreprises, pendant la durée du premier mandat, le maintien du lien (comme dans un congé création d’entreprise ou un congé parental) avec obligation de réembauche à qualification et poste équivalents, avec évolution de salaire au retour, indexée sur celle des salariés de même catégorie dans l’entreprise. En cas de licenciement dans les 24 mois suivant le retour (sauf pour faute lourde), prise en compte en double, pour le calcul de l’ancienneté, des années du mandat et de la période postérieure, pour éviter les licenciements à motif politique.
– Il faut que la fonction élective ne constitue pas une rente à vie, mais le « don de soi » temporaire au service de la collectivité. C’est pourquoi la limitation impérative à deux mandats successifs quel que soit le mandat (sauf conseiller municipal, mais maire inclus) devrait être la règle.
– interdiction du cumul d’un mandat de parlementaire et de président d’un exécutif local (y compris maire). La proposition 15 du rapport va en ce sens.
– limite d’âge à 70 ans pour se présenter à un mandat électif (sauf conseils municipaux, mais inéligibilité comme maire)
Il faut un plafonnement des indemnités plus sévère et sanctionner l’absentéisme
– plafonnement des indemnités d’élu en ne prenant pas seulement en compte le total des indemnités, mais le total des rémunérations (l’indemnité pouvant donc être nulle en cas de revenus autres significatifs)
– interdiction de se présenter à une élection sans intention d’exercer le mandat : en cas d’élection et du fait de cumul ou d’incompatibilité (cas de ministres se présentant aux législatives), obligation d’opter pour le dernier mandat obtenu, et pas comme aujourd’hui choix du mandat conservé.
– création d’un statut du suppléant pour le député. Par exemple, obligation pour le député de choisir son suppléant comme collaborateur au minimum à temps partiel. Obligation pour le suppléant d’être présent en certaines occasions en cas d’absence du titulaire. *
– Création dans chaque assemblée d’une commission de discipline paritaire ayant mandat impératif de sanctionner l’absentéisme, d’abord par sanctions financières et jusqu’à la déchéance du titulaire au profit du suppléant en cours de mandat en cas d’insuffisance criante de participation aux travaux parlementaires (séances, commissions, amendements propositions de lois…)
Il faut briser le népotisme et accepter enfin la parité
– Les exemples nombreux (Jean Sarkozy et l’EPAD, Roselyne Bachelot et son fils, Claude Bartolone et son épouse…) de confusion des genres entre vie privée et collaboration professionnelle sont trop nombreux. Il faut fixer des règles. Par exemple, interdiction d’embauche par un parlementaire ou par un ministre comme collaborateur ou membre de son cabinet d’un ascendant, descendant, conjoint, collatéral (frère ou soeur).
– obligation à la parité sur les scrutins de liste avec comme conséquence du non-respect l’annulation ET une amende. L’article 13 du rapport est affligeant de conservatisme sur ce point. Il propose en effet de limiter les sanctions. L’exemple pris est qu’un parti présentant 75 % d’hommes et 25 % de femmes (et on ne parle pas de postes éligibles) verrait son aide publique diminuée de 50 % (seulement !!). Mieux, les partis respectant la loi verraient leur aide publique augmentée. On lit bien : une prime pour se contenter de respecter la loi ! C’est indigne, tout simplement.