écrit en collaboration avec Lionel Rouillon.
Derrière les pigeons des vautours ? des questions mal posées
Nous avons voulu attendre que le buzz médiatique autour des « pigeons » soit retombé pour intervenir sur ce sujet de polémique qui nous semble biaisé et mal abordé.
Rappelons-nous, il y a quelques semaines, des entrepreneurs, se positionnant comme partie prenante de la nouvelle économie, levaient le vent de la colère protestant contre le projet de réforme de la fiscalité sur les cessions d’entreprise.
En deux semaines ceux qui se sont appelés les « pigeons » ont réuni la signature de 65.000 personnes, imposant au gouvernement de recevoir une délégation d’entre eux et de revoir sa copie.
Rendons d’abord à César ce qui lui revient. Bien évidemment ce buzz n’avait rien de spontané et son organisation a été confiée à l’agence Yopps dirigée par Yael Rozencwajg. Espérons pour elle que cette opération lui rapportera des clients car on ne peut que saluer son professionnalisme.
Une présentation biaisée
Les “pigeons” protestent contre leur perception du projet de loi de finances qui taxerait effectivement à 60 % (CSG incluse) les cessions d’entreprise. Ceci concernerait effectivement une partie des cessions supérieures à 50.000 €, c’est-à-dire pas les TPE.
Mais pour comprendre le sujet, il faut aussi parler des jeunes entreprises innovantes (JEI) qui bénéficient d’une série d’avantages fiscaux : exonération sur les bénéfices durant cinq ans, de taxe foncière, d’imposition forfaitaire annuelle… L’un de ces avantages concerne justement leur cession : exonération d’imposition sur les plus-values de cession pour les actionnaires d’entreprises de moins de 250 salariés, ayant un chiffre d’affaires inférieur à 50 millions d’euros. C’est-à-dire exactement la cible que prétendent défendre les pigeons.
Ils s’insurgent également contre le projet de taxation des auto-entrepreneurs qui ne réalisent pas de chiffre d’affaire. Projet qui n’a jamais existé. En réalité, seuls les auto-entrepreneurs réalisant une activité seront touchés par une augmentation de 2 à 3 % de leurs charges. Une tentative pour noyer le poisson ?
En réalité nos pigeons seraient-ils des vautours, dynamiques certes, mais allergiques à toutes solidarités fiscales ? La question est décidemment mal posées par le gouvernement comme par les pigeons.
la vraie question : les créations d’entreprise
En effet, avant de parler cession, il faut parler de création. C’est la création de l’entreprise et son développement qui créent la richesse, pas sa cession. Le principal reproche à faire aux gouvernements précédents et la question à poser à l’actuel est donc de savoir comment faciliter la création d’entreprises viables. Plus de la moitié des entreprises créées ferment dans les trois ans et seules 10 à 15 % des créations d’entreprise bénéficient d’un accompagnement. La facilitation administrative à la création d’entreprises et aux différentes déclarations obligatoires est indispensable. Comme est indispensable la mise en place d’un guichet unique qui permette à l’entrepreneur de bénéficier sans s’épuiser des réseaux de soutien les plus appropriés. L’argument selon lequel la fiscalité des cessions doit être baissée notamment à cause du risque important d’échecs doit donc être inversé. C’est d’abord le risque d’échecs qui doit être combattue grâce à un accompagnement, une aide appropriée et simple d’accès à la professionnalisation des créateurs d’entreprise.
Ensuite, la question de la fiscalité des cessions doit être abordée du point de vue de la création de valeur sur la durée. Ce qui doit être régulé fiscalement c’est le « prends l’oseille et tire toi » et pas l’investissement personnel du créateur-constructeur. Une réforme juste doit donc se focaliser sur les mécanismes de LBO ou les investissements à court terme de fonds ayant comme conséquence soit le découpage, soit la destruction d’activités ou d’emplois dans le but d’une augmentation rapide du résultat et d’une cession fructueuse au détriment de l’entreprise. Ce qui doit être modulé c’est la fiscalité de cession en fonction de la durée de possession des parts, de la répartition du capital au sein du personnel de l’entreprise. Ce qui doit être distingué c’est la situation de l’investisseur-entrepreneur et celle du sleeping-partner.
En bref, en se concentrant sur les « pigeons », le débat a soigneusement évité la seule question qui vaille : comment accompagner le créateur-entrepreneur, l’aider à se professionnaliser dans son nouveau métier de chef d’entreprise et ainsi à assurer la viabilité de son affaire. Et à nouveau sur ce sujet crucial, sous réserve d’inventaire plus précis, les propositions du gouvernement Ayrault dévoilées le 6 novembre, ne semblent pas à la hauteur du problème.